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Date: 19/06/2025

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Social,Fiscal

Actionnariat salarié

Le transfert légal des contrats de travail peut faire obstacle à l'acquisition d'actions gratuites

Des salariés n'avaient pas pu acquérir les actions gratuites qui leur avait été attribuées, car le plan d'attribution prévoyait une condition de présence : or, ils avaient quitté l'entreprise avant l'expiration de la période d'acquisition du fait du transfert légal de leur contrat de travail, à la suite d'une cession d'activité. C'est en vain que ces salariés ont tenté de faire juger que l'employeur avait orchestré ce transfert pour empêcher l'attribution des actions.

Rappel du régime juridique des attributions gratuites d’actions (AGA)

L’attribution gratuite d’actions (AGA) est un mécanisme de fidélisation des salariés et de certains mandataires sociaux, mis en place sur décision du conseil d’administration ou du directoire de la société, après autorisation préalable de l’assemblée générale extraordinaire (c. com. art. L. 225-197-1).

Le processus se déroule en plusieurs temps. En effet, une fois les actions attribuées, les bénéficiaires :

-n’en deviennent propriétaires qu'au terme d’une période d’acquisition, qui ne peut pas être inférieure à 1 an ;

-ne peuvent les vendre qu'au terme d’une période d’indisponibilité, qui ne peut pas être inférieure à 2 ans, sachant que ce délai qui court également à compter de l’attribution des actions.

À noter : ces règles d’indisponibilité sont celles applicables aux attributions d'AGA effectuées à partir du 8 août 2015 (loi 2015-990 du 6 août 2015, JO du 7). Pour les attributions antérieures, les règles sont un peu différentes, avec notamment une période d’indisponibilité plus longue.

L’affaire : des salariés ont perdu le bénéfice de leurs actions du fait du transfert de leur contrat de travail

Le plan d’attribution gratuite d’actions comportait une condition de présence. - Une multinationale du secteur de l’information avait mis en place un mécanisme de distribution d’actions gratuites dit « RSU », pour « restricted stock units ».

Le plan annuel d’attribution des actions prévoyait une condition de présence rédigée comme suit : « si votre emploi auprès de la société s'achève, pour quelque raison que ce soit (y compris en cas de cessation d'activité, volontairement ou involontairement, sauf en cas de décès, de handicap (défini ci-après) ou de retraite (définie ci-après), tous les RSU qui n'ont pas été acquises seront annulées à la date de la fin de contrat. »

L’employeur avait cédé une activité et transféré au repreneur les salariés affectés à cette activité, entraînant l’annulation des actions gratuites. - En application de cette clause, des salariés avaient justement « perdu » un certain nombre d’actions. En effet, dans le cadre d’une réorganisation ayant donné lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la société avait fermé plusieurs sites et, après recherche d’un repreneur (c. trav. art. L. 1233-57-14), elle avait cédé l’une de ses activités.

Cette cession avait entraîné, le 1er juillet 2017, le transfert des contrats de travail des 460 salariés affectés à cette activité, ainsi que le prévoit le code du travail en cas de modification de la situation juridique de l’employeur avec transfert d’une entité économique autonome (c. trav. art. L. 1224-1 ; cass. soc. 7 juillet 1998, n° 96-23451, BC V n° 363).

À noter : un certain nombre de salariés contesteront leur transfert chez le repreneur de l’activité, sans succès : pour la Cour de cassation comme pour le Conseil d’État, les conditions posées par le code du travail au transfert des contrats vers l’entité reprenant l’activité étaient bien réunies (CE 28 octobre 2022, n° 454355 ; cass. soc. 28 juin 2023, n° 22-14834 FSB).

Les salariés soutenaient que l’employeur avait orchestré le transfert des contrats de travail pour faire échec aux AGA

Pour faire obstacle à la clause de présence et obtenir des dommages et intérêts au titre de la « perte de chance d’avoir pu acquérir les actions RSU attribuées jusqu’en 2016 », les salariés avaient invoqué un certain nombre d’arguments, notamment une disposition du code civil selon laquelle « La condition [à laquelle peut être subordonnée une obligation] est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement. » (c. civ. art. 1178, dans sa version antérieure à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations par l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ; c. civ. art. 1304-3 dans la législation aujourd’hui en vigueur, dans une rédaction un peu différente).

En d’autres termes, ces salariés soutenaient qu’en organisant le transfert des contrats de travail, l’employeur avait empêché l’écoulement de la période d’acquisition, de sorte que la condition de présence devait être considérée comme remplie et que la non-acquisition des actions devait donner lieu à indemnisation.

La cour d’appel de Toulouse a cependant rejeté les demandes des salariés et la Cour de cassation confirme aujourd’hui cette décision.

Les juges confirment que les salariés ne peuvent prétendre à aucune indemnisation

Pas de perte de chance d’avoir pu acquérir les actions gratuites du fait du transfert légal des contrats de travail. - Après avoir rappelé le régime des AGA (c. com. art. L. 225-197-1), la condition de présence formulée par le plan annuel d’attribution des actions dans cette affaire (tout en précisant que les salariés en avaient été informés) et les conditions du transfert légal des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur (c. trav. art. L. 1224-1), la Cour de cassation confirme que « le salarié qui n'a pu, du fait du transfert légal de son contrat de travail intervenu avant le terme de la période d'acquisition, se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites, ne peut revendiquer aucune indemnisation pour la perte de chance d'avoir pu les acquérir, sauf à démontrer une fraude de l'employeur dans le recours à l'article L. 1224-1 du code du travail. »

Elle en déduit que « l'emploi des intéressés auprès de la société s'était achevé en raison du transfert de plein droit de leur contrat de travail au nouvel employeur, [de sorte qu’ils] ne pouvaient revendiquer aucune indemnisation d'une perte de chance du fait de l'impossibilité d'acquérir les actions RSU attribuées jusqu'en 2016. »

Le transfert des contrats de travail est une obligation légale. - Dans son avis, l’avocate générale militait pour cette solution (https://www.courdecassation.fr/getattacheddoc/6852514da7fdae5a8046f32d/ec7ed7adc7ea936f9478be81dfd896a2).

En effet, selon elle, on ne pouvait pas soutenir que, dans cette affaire, l’employeur avait orchestré le transfert des contrats de travail pour faire échec à la condition de présence.

En réalité, il n’avait fait que se conformer à ses obligations légales, d’abord en cherchant un repreneur pour le site qu’il entendait fermer (c. trav. art. L. 1233-7-14), puis en prenant acte du transfert des contrats de travail auprès de ce repreneur, conformément à ce que prévoit le code du travail en cas de modification de la situation juridique de l’employeur avec transfert d’une entité économique autonome (c. trav. art. L. 1224-1). « Il ne s’agit donc pas d’un mécanisme volontaire de la part de l’employeur mais seulement des effets légaux d’une cession volontaire. »

Les AGA ne sont pas un mode de rémunération
Un autre moyen du pourvoi soutenait par ailleurs que l’employeur qui subordonne le paiement d’un élément de rémunération à la présence du salarié au jour du versement de cet élément doit s’acquitter de son obligation si l’absence de l’intéressé fait suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (cass. soc. 12 juillet 2006, n° 04-46290 D ; cass. soc. 18 décembre 2019, n° 18-20275 D).
Cependant, ainsi que le souligne l’avocat générale dans son avis, cette jurisprudence n’est pas transposable à la distribution d’actions gratuites, celle-ci ne constituant pas un mode de rémunération (cass. soc. 27 novembre 2007, n° 05-43489 D ; cass. soc. 15 novembre 2023, n° 22-12501 D ; cass. soc. 22 mai 2024, n° 22-18182 FSB).
Et c’est exactement ce que décide la Cour de cassation dans cette affaire : « la distribution d'actions gratuite aux salariés, qui a pour objet de les fidéliser ou de leur permettre de se constituer un portefeuille de valeurs mobilières, ne constitue pas la contrepartie d'un travail et n'a donc pas la nature juridique d'un élément de rémunération. »

Cass. soc. 18 juin 2025, n° 23-19748 FSB ; https://www.courdecassation.fr/decision/6852514da7fdae5a8046f32d